Valentin Rusu n’a pas encore décidé pour qui il voterait lors de l’élection présidentielle dimanche en Moldavie, mais il sait ce qu’il voudrait voir changer après ce scrutin: «Que les enfants aient un avenir ici».
«Je veux que la Moldavie soit comme l’Europe, que nous ne soyons plus contraints de partir travailler à l’étranger», dit ce jeune homme âgé de 28 ans. Valentin a tenté l’expérience de l’émigration, à l’instar d’environ un million de ses concitoyens, soit près d’un tiers de la population de cette ancienne république soviétique.
Mais il est rentré dépité dans son pays après s’être fait «arnaquer» par son employeur en Russie, où il a travaillé pendant quelques mois.
Depuis, il enchaîne les petits boulots dans le bâtiment. Ce jour-là, il pose des dalles en granit sur une tombe dans le cimetière de Vorniceni (centre). «Seuls des gens qui ont travaillé en Italie se permettent un tel ouvrage», assure-t-il, ajoutant que lui-même est payé l’équivalent de 5 euros par jour pour son travail.
À l’entrée de ce cimetière hérissé de croix faites de simples barres de fer, une église en bois tient à peine debout. À l’intérieur, une statuette abîmée représentant le Christ est apposée contre un mur éventré, tandis qu’une icône aux couleurs effacées repose sur une table.
«Il faudrait de l’argent pour réparer l’église, mais où le trouver?» s’interroge Renata Arnautu, 40 ans, gardienne des lieux.
Solitude
Selon elle, beaucoup de jeunes ont quitté le village ces dernières années et désormais «il y a plus d’enterrements que de naissances». Bêche à l’épaule malgré ses 84 ans, Ioana Lucian est venue nettoyer la tombe de son mari.
«Le village est très triste. Quand j’étais jeune fille on allait danser, il y avait de la musique» sur la grand-place, raconte-t-elle. Mais «beaucoup de gens sont partis. Je suis restée seule», déplore cette vieille dame, montrant les maisons qui avoisinent la sienne, «toutes abandonnées».
Si l’exode des Moldaves a commencé au début des années 1990, «ce phénomène s’est intensifié depuis 2016 et connaît actuellement l’un des taux les plus élevés de la région, soit entre 1,5 et 1,7% de la population», indique à l’AFP Olga Gagauz, directrice du Centre de recherches démographiques.
Cette émigration en masse est une aubaine pour ce pays parmi les plus pauvres d’Europe: 1,8 milliard de dollars ont été envoyés aux familles en 2019, soit environ 15% du produit intérieur brut (PIB).
Selon Lars Johann Lonnback, représentant de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en Moldavie, «un foyer sur trois reçoit de l’argent de l’étranger et pour la moitié d’entre eux ces fonds représentent 50% de leurs revenus».
Frein au développement
«L’émigration nous a tirés de la pauvreté mais à long terme les effets négatifs socio-économiques dépassent les bénéfices initiaux», estime le sociologue Vasile Cantarji, citant notamment le vieillissement de la population et la pénurie de main d’oeuvre.
«Cela est devenu le principal frein au développement du pays», souligne-t-il dans une interview à l’AFP. Les gouvernements successifs ont promis des mesures pour encourager les émigrés à revenir, mais à ce jour «il n’y a aucun signe d’un retournement de la tendance», ajoute cet expert.
Selon une étude conjointe de l’OIM et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) publiée en août, les Moldaves qui sont rentrés en raison de la pandémie de coronavirus ont déclaré qu’ils comptaient repartir dès que la situation le permettrait.
Afin d’enrayer l’émigration, ce pays «doit offrir des services éducationnels et de santé de bonne qualité, développer ses infrastructures et éradiquer la corruption», souligne cette étude.
Dans la capitale Chisinau, Ion et Nina Enache, deux retraités, espèrent que leurs trois enfants, dont deux travaillent en Angleterre et un au Portugal, rentrent un jour en Moldavie car «vivre dans son pays est ce qu’il y a de mieux. Mais tant que les salaires restent tellement bas ils ne reviendront pas», lâchent-ils.