La lettre de Jean Jaurès qui doit être lue en cette rentrée en hommage à Samuel Paty est en réalité une version courte où des passages sur la défense de l’autonomie de l’enseignant et la critique du recours excessif aux évaluations ont été supprimés.
Dans le cadre de l’hommage national rendu à Samuel Paty, enseignant décapité à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre, en cette rentrée scolaire du 2 novembre 2020, l’ensemble des enseignants de France devront lire juste avant la minute de silence – prévue à 11h – la Lettre aux instituteurs et institutrices de Jean Jaurès, publiée le 15 janvier 1888 dans le journal La Dépêche. Quelques extraits de ce texte furent également lus lors de la cérémonie d’hommage au défunt professeur à la Sorbonne le 21 octobre
Toutefois, certains enseignants, a minima de la région Centre et de l’Occitanie, ont découvert avec stupeur et mécontentement que le texte envoyé par le ministère de l’Education nationale était une version largement raccourcie par rapport à la version originale, comme le rapporte Libération. Le texte raccourci envoyé à de nombreux professeurs, qui «a été mis en ligne en 2016 dans le cadre de la semaine pour la laïcité» par l’académie de Poitiers, d’après le quotidien, était jusqu’à hier encore le premier résultat référencé sur Google avec le titre de la lettre.
Selon l’écrivain et animateur du site Jaurès.eu, Jérôme Pellissier, interrogé par Libération, l’un des paragraphes supprimés par le ministère de l’Education nationale révèle «combien Jaurès était soucieux de l’autonomie de l’enseignant et de ne pas faire des élèves des bêtes à concours». En voici quelques lignes : «J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence !
En plus des trois paragraphes (sur neuf) retirés par le ministère, au moins un passage a été modifié selon un professeur de philosophie d’un lycée d’Occitanie interrogée par Libération : «La « fierté alliée à la tendresse », mentionnée par Jean Jaurès pour expliquer la « grandeur » de l’enseignant, s’est transformée en « fermeté » – un mot qui n’apparaît à aucun moment dans la lettre.
Le gouvernement explique avoir expurgé le texte pour «fournir un outil clé en main» aux plus jeunes Jusqu’au 31 octobre au soir, selon un autre professeur interrogé par le quotidien, seule la version courte se trouvait sur le portail officiel Eduscol, sur lequel se trouvent désormais la version «adaptée pour un public plus jeune» et une seconde pour les lycéens. Mais aucune trace du document original sur le site internet officiel français d’information et d’accompagnement des professionnels de l’éducation.
Si le ministère de l’Education nationale justifie d’avoir retiré plusieurs passages voire modifié des mots par «la volonté de fournir un outil clé en main», rappelant que «ce genre de modalités pédagogiques sont très courantes pour les commémorations», Jérôme Pellissier souligne, toujours auprès du quotidien, qu’il aurait fallu «couper les parties anachroniques sur les enfants des campagnes qui reviennent après les récoltes», et non sur l’autonomie de l’enseignant et la critique du recours excessif aux évaluations.
Par ailleurs, le syndicat SNES-FSU, premier syndicat des personnels enseignants, a appelé, dans un communiqué daté du 1er novembre, à la grève dans les établissements où l’organisation initiale de l’hommage à Samuel Paty ne serait pas maintenue. «L’école a été attaquée. La communauté éducative est meurtrie. Nous ne pouvons pas rentrer, reprendre le chemin de nos établissements scolaires comme si de rien n’était. D’autres organisations étaient possibles permettant de tenir compte des conditions de cette rentrée hors normes. Elles ont été balayées d’un revers de la main, sans considération pour les impératifs humains et pédagogiques», font-ils également valoir.
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