Face au Covid, Londres augmente les impôts. Une solution impensable en France, déjà championne du monde des taxes

La pression fiscale va augmenter outre-Manche. Le ministre des Finances a présenté son budget 2021. Au menu, hausse de l’impôt sur les sociétés et gel du barème des contributions sur le revenu. Le chemin sur lequel s’aventurent les Britanniques pour pallier l’impact budgétaire de la crise a déjà été emprunté par la France… bien avant le Covid.

Hausse d’impôts en perspective au pays du libéralisme. Comme leurs homologues français et allemands, les dirigeants britanniques ont mis la main à la poche dès le début de la crise afin de secourir les entreprises. Résultat, le gouvernement de Sa Majesté doit écorner certaines promesses électorales afin de pallier un déficit budgétaire record.

En 2020, après trois confinements, le PIB du royaume s’est effondré de près de 10%. «La plus forte baisse en plus de trois cents ans», a souligné le chancelier de l’Échiquier (ministre britannique des Finances), Rishi Sunak, lors de la présentation du premier budget du pays depuis la sortie de l’Union européenne. Devant la Chambre des communes, celui que l’on surnomme le «maharajah de Dales» a développé un éventail de mesures afin de soutenir l’économie du pays durant la crise tout en jetant les bases de la relance d’après-Covid.

Avec près de 20 millions de sujets vaccinés, le Royaume-Uni espère rapidement tourner la page de la pandémie et renouer avec la croissance, dès cette année. Londres planche sur un retour de l’économie à son niveau d’avant le Covid six mois plus tôt qu’escompté.

Une prise en charge des salaires des employés à hauteur de 80%, une aide aux indépendants de l’ordre de 80% de leurs bénéfices moyens ou encore la garantie pour les entreprises de 80% des sommes qu’elles empruntent ainsi qu’une TVA réduite: devant la Chambre basse, le chancelier de l’Échiquier a assuré que son département continuerait de faire «tout ce qui est nécessaire pour soutenir le peuple et les entreprises britanniques pendant ce moment de crise».

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Par ailleurs, le Trésor de Sa Majesté continuera de verser 20 livres par semaines aux ménages les plus pauvres. Et, à partir d’avril, le salaire horaire minimal sera porté à 8,91 livres. Soit une vingtaine de pence de plus qu’au début de la crise. Cela représente «une augmentation de salaire annuelle de près de 350 £ pour une personne travaillant à plein temps», plaide Rishi Sunak. Pas si mal pour ce «brexiteur» quadra, si critiqué par une partie de la presse française pour sa fortune personnelle (la 51e d’Inde selon Forbes) et sa réussite politique après un passage par Goldman-Sachs. Ce conservateur, issu de l’immigration et défendant les intérêts de son pays d’adoption, semble heurter les convictions d’une partie de la presse hexagonale.

En tout cas, les dépenses engendrées par trois confinements ont creusé les caisses du pays. Aux 355 milliards de livres empruntées en 2020 s’ajouteront les 234 milliards de livres d’emprunt budgétisés pour 2021 «soit 10,3% du PIB» selon l’Office for Budget Responsibility (OBR), organisme public de prévisions économiques. Le déficit budgétaire du Royaume Uni bat ainsi des records, tout comme sa dette publique qui atteint un plus haut historique avec 2.131,7 milliards de livres, l’équivalent de 99,4% du produit intérieur brut (PIB).

«Le montant que nous avons emprunté n’est comparable qu’à celui que nous avons emprunté pendant les deux guerres mondiales», souligne sans détour le chancelier devant les députés.

Le ministre en est donc vite venu au vif du sujet: la politique fiscale. Pour tenter de maîtriser le poids de la dette, Rishi Sunak annonce un relèvement de 19% à 25% de l’impôt sur les sociétés d’ici à 2023. À mesure que ces dernières rouvriront, «nous leur demanderons de contribuer au côté du contribuable aux frais du paiement de leurs employés», s’est justifié le chancelier.

Par ailleurs, ce taux restera à 19% pour les sociétés dégageant moins de 50.000 livres de bénéfices. «Cela signifie qu’environ 70% des entreprises, soit 1,4 million d’entre elles, ne seront absolument pas touchées», souligne Rishi Sunak.

Quant aux particuliers, comme en France, on joue sur les mots. S’il n’est pas question à proprement parler de «hausse d’impôts», la fiscalité n’en est pas moins alourdie.

Seront gelés pour cinq ans le seuil de l’impôt sur le revenu (IR) ainsi que celui des droits de succession, le plafond de défiscalisation des assurances-vie et les exonérations de taxe sur les plus-values. Si la mesure peut paraître anecdotique pour certains, le fait que les montants correspondant aux paliers d’imposition ne soient plus réévalués en fonction de l’inflation devrait à terme mécaniquement faire passer 800.000 contribuables britanniques de la première tranche à la seconde tranche d’imposition. Par ailleurs, cela devrait rendre imposables 800.000 nouveaux foyers développe Les Échos. Ce tour de passe-passe devrait rapporter six milliards de livres sterling au budget de l’État.

La France, pays des taxes «exceptionnelles» éternelles

Différence de taille, toutefois, avec la France: ces hausses ne sont pas une surprise et le gouvernement britannique dispose encore d’une marge de manœuvre. «Même après ce changement, le Royaume-Uni aura toujours le taux d’imposition des sociétés le plus bas du G7», a notamment rappelé le grand argentier.

Ce tour de vis peut-il être perçu comme un avant-goût de ce qui attend la France? Après tout, son déficit est similaire (178,2 milliards d’euros en 2020) et sa dette publique bien pire: 2.798 milliards d’euros, soit 116,2% du PIB. Proportionnellement, l’Hexagone était plus endetté que le Royaume-Uni avant la crise. Il a d’ailleurs alloué moins de ressources que ce dernier au sauvetage de l’économie: un comble pour un pays prompt à se gargariser de son État-Providence.

En France, la situation semble même inverse, depuis 2019 les allocations (APL) sont en baisse pour un million de personnes, les retraites de base et les retraites complémentaires (Agirc-Arcco) sont gelées… depuis plus de sept ans. Cette mesure était alors censée rapporter 50 milliards d’euros aux budgets de la présidence Hollande. Avec un taux de prélèvements obligatoires déjà le plus élevé du monde, le gouvernement français en est aujourd’hui réduit à proroger ad vitam æternam des taxes initialement présentées comme exceptionnelles. Par exemple, la CRDS.

Réformes, privatisations: faire payer autrement les Français

À l’été 2020, le gouvernement a en effet prolongé de neuf ans la durée de vie de cette taxe dont la fin était initialement prévue pour 2024. Acquitté par tous les Français, sur tous leurs revenus (salaires, retraites, revenus du patrimoine, etc.), ce prélèvement créé par Alain Juppé en 1996 avait pour objectif de renflouer la Sécurité sociale. Or les déficits des comptes sociaux n’ont eu de cesse de se creuser depuis. Sous l’effet de la fraude aux prestations sociales par exemple.

Mieux, la CRDS pourrait être reconduite jusqu’à 2042. Comme l’a encore affirmé cette semaine Bruno Le Maire devant le Sénat, la dette sera remboursée!

Selon l’OCDE, la France reste la championne du monde de la pression fiscale, avec des prélèvements obligatoires qui représentent près de la moitié de la richesse nationale: 46,1% du PIB. De l’autre côté du Channel, les impôts ne représentaient au Royaume-Uni que 33,5% du PIB. Un taux légèrement inférieur à la moyenne de l’OCDE: 34,2%.

Bref, contrairement à Londres qui commence tout juste à actionner le levier fiscal, Paris ne semble plus avoir la moindre marge de manœuvre.

Face aux difficultés d’augmenter les recettes fiscales, l’État recours à la diminution des décaissements sans toutefois infléchir son propre train de vie. Les réformes des retraites et du chômage ou, plus anecdotique, la diminution des aides aux logements sont autant de signaux de détresse envoyés par un gouvernement aux abois.

Toutefois, les Français n’ont pas fini de payer pour rattraper les fautes de gestion de leurs dirigeants. Des errements sublimés par la crise du Covid. Devant l’impossibilité de tondre un œuf et donc dans l’incapacité d’augmenter les impôts, l’exécutif planche sur d’autres pistes pour renflouer les caisses. Par exemple, la privatisation de sections de routes nationales.

Une vision à court terme qui consiste à brûler ses meubles pour se chauffer. On est bien loin de la création de ports francs annoncée par Rishi Sunak! Ceux-ci devraient doper l’investissement outre-Manche et donc compenser dans la durée la baisse temporaires des rentrées fiscales.

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