Le 17 mars, la Commission européenne présentera son projet de certificat sanitaire européen. Cet outil numérique, qui doit encore être adopté par les Etats membres, concrétise la volonté de Bruxelles d’élargir ses compétences en matière de santé.
C’est une occasion trop rare pour la laisser passer. Depuis quelques mois, et alors que le projet de certificat européen doit être présenté ce 17 mars par la Commission européenne, des propositions de textes venus de Bruxelles se sont succédées pour élargir un peu plus les pouvoirs de l’Union européenne en matière de santé et de gestion de crise épidémique.
Dans son discours sur l’état de l’Union en septembre 2020, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, n’avait pas caché ses intentions. Elle avait appelé à une «union européenne de la santé» en soulignant la nécessité de mettre en place un nouveau cadre juridique pour favoriser l’harmonisation entre les pays et en appelant à doter le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et l’Agence européenne des médicaments (EMA) de nouvelles prérogatives en cas de crise épidémique.
Les «menaces transfrontières graves sur la santé», l’un des fondements juridiques pour agir et proposer des lois en période de crise
Que disent les traités européens en matière de santé, et plus particulièrement, en matière de gestion de crise épidémique ? L’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) précise que «l’action de l’Union, qui complète les politiques nationales, porte sur l’amélioration de la santé publique et la prévention des maladies […] ainsi que la surveillance de menaces transfrontières graves sur la santé, l’alerte en cas de telles menaces et la lutte contre celles-ci». Le texte indique également que «les Etats membres coordonnent entre eux, en liaison avec la Commission, leurs politiques et programmes».
Pour soumettre de nouvelles réglementations qui empiètent un peu plus sur les prérogatives des Etats, la Commission s’appuie aussi sur l’article 114 du TFUE qui stipule que «la Commission, dans ses propositions […] en matière de santé, de sécurité, de protection de l’environnement et de protection des consommateurs, prend pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques».
Si la protection de la santé et la gestion des systèmes de soins incombe toujours aux États membres, l’Union européenne joue un rôle majeur dans la prévention et la gestion des menaces transfrontalières. Elle a donc tout loisir de proposer des textes législatifs pour combler les lacunes qu’elle identifie et c’est précisément ce que fait la Commission depuis plusieurs mois.
Le Sénat alerte sur un projet de règlement européen proposé par Bruxelles
Fin 2020, la Commission européenne a donc soumis des propositions de règlements du Parlement européen et du Conseil européen concernant les menaces transfrontières graves pour la santé. Dans ce texte, la Commission précise que ces mesures visent à fournir «un cadre renforcé pour la préparation et la réaction aux crises sanitaires à l’échelle de l’Union en remédiant aux faiblesses révélées par la pandémie de Covid-19».
Ce projet de règlements a été présenté devant la Commission des affaires européennes du Sénat en décembre 2020. Cette dernière a alerté sur le fait que la Commission devait respecter les compétences des Etats membres. Lors d’une réunion du 4 février 2021, le président de la commission des affaires européennes du Sénat, Jean-François Rapin, s’était notamment demandé : «Construire l’Europe de la santé, oui, mais jusqu’où ?» La Commission sénatoriale remettait notamment en cause l’élaboration d’un plan de préparation et de réaction face aux crises sanitaires que Bruxelles souhaiterait européen mais qui ne permet pas de tenir compte des spécificités de chaque Etats membre en matière sanitaire.
Plus largement, le Sénat rappelait que ces propositions contenaient des dispositions qui remettent en cause les compétences accordées aux Etats membres par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Sur chacune des trois propositions de règlement, la commission des affaires européennes avait adopté une proposition de résolution portant avis motivé pour indiquer qu’elles ne sont pas conformes au principe de subsidiarité (principe selon lequel une action publique doit être engagée par l’autorité la plus compétente pour le faire). Si un tiers des parlements nationaux font de même, la Commission européenne sera forcée de réexaminer ses textes.
Le système d’alerte précoce et de réaction (SAPR), un outil informatique de partage de données déjà en place pour surveiller l’épidémie à l’échelle européenne
Parmi les autres propositions contenues dans ce texte, la poursuite du développement d’une plateforme numérique placée sous l’autorité du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) sur laquelle les données sont gérées et échangées automatiquement afin de mettre en place des systèmes de surveillance en temps réel. Cette plateforme numérique permettrait la collecte automatisée de données de surveillance et de laboratoire et utiliserait les informations des dossiers médicaux électroniques.
Si cette mesure éclaire d’un jour nouveau le certificat sanitaire européen présenté par la Commission, ce n’est pas la première fois que Bruxelles aspire à la mise en place d’outils numériques pour la prévention et la gestion de crise en matière de santé. En 2010, elle avait franchi un pas important avec la mise en place du système d’alerte précoce et de réaction (SAPR) qui, via une interface web, relie la Commission européenne, les autorités sanitaires de chaque pays, l’ECDC et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cet outil informatique – que la Commission souhaite également renforcer – comporte des canaux de communication ainsi que des données épidémiques brutes rentrées par chaque pays.
Accouplé au «certificat européen», et bien que les modalités techniques de sa mise en œuvre ne soient pas totalement dévoilées, les autorités européennes pourraient se doter d’un outil particulièrement puissant, capable de suivre en temps réel les épidémies comme les individus, vaccinés ou non, dans la totalité de l’espace européen. Restera l’épineuse question de la liberté de circulation (principe fondateur de l’UE) face à de potentielles discriminations visant les personnes non vaccinées et celle du traitement des données qui ne manquera sans doute pas, en France, d’attirer l’attention de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).