Alors que le parti LREM (ex-En Marche) créé par Emmanuel Macron fête ses 5 ans, les défections, les scandales judiciares et les échecs électoraux semblent mettre à mal l’avenir du parti dans la perspective des élections présidentielles de 2022.
C’était le 6 avril 2016 à l’occasion d’un déplacement à Amiens. Emmanuel Macron, toujours ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique sous la mandature du président François Hollande, annonce la création d’un nouveau parti politique : «J’ai pris du temps, j’ai réfléchi, j’ai consulté, j’ai associé et j’ai décidé qu’on allait créer un mouvement politique nouveau, c’est-à-dire qui ne sera pas à droite, pas à gauche», déclare-t-il.
L’ambition de ce mouvement est de sortir du traditionnel clivage droite-gauche en invitant toutes les bonnes volontés issues de la «société civile» à se rassembler dans la perspective des élections présidentielles de 2017. Pensé comme un tremplin politique pour le candidat Emmanuel Macron, la presse multiplie ses faveurs pour ce parti né de rien. Un site internet est rapidement créé avec la possibilité pour tous les citoyens de s’inscrire, grâce à un formulaire en ligne, et de devenir l’un de ces «marcheurs» chargés de répandre la «bonne nouvelle» dans tout le pays.
Cinq ans après la naissance d’En Marche (devenu «La République en marche» au lendemain du second tour de l’élection présidentielle alors qu’Emmanuel Macron quitte la présidence du parti pour rejoindre l’Elysée), les départs, les déceptions, les scandales se succèdent alors que l’exécutif semble fragilisé de toutes parts, par une gestion très critiquée de la crise sanitaire, par l’apparition de mouvements sociaux d’ampleurs inédites en France (les Gilets Jaunes) ou par des défections de responsables et de députés qui ont choisi de quitter le navire LREM.
Un nombre d’adhérents en chute libre malgré la gratuité des adhésions:
C’est l’une des grandes particularités de LREM depuis sa création : nul besoin de cotiser pour devenir adhérent. A rebours des pratiques en vigueur au sein des autres partis politiques (qui demandent à leur adhérent de cotiser, entre 5 et 40 euros par an selon la situation de l’adhérent), LREM n’exige aucun engagement financier de la part de ses adhérents. Pour devenir un «marcheur», rien de plus simple : il suffit de compléter un formulaire en ligne et d’accepter «la charte des valeurs du mouvement». Ce fonctionnement permet au Parti de revendiquer plus de 400 000 adhérents en juin 2018. Des chiffres discutés, voire moqués par certains opposants politiques qui dénoncent un système flou et peu représentatif de l’investissement réel des adhérents.
Cette faible implication des militants semble confirmée par un article du Parisien qui précise qu’une réforme des statuts engagée en décembre 2019 (pour laquelle tous les adhérents étaient invités à s’exprimer) avait impliqué seulement 4,2% des militants, soit 17 820 personnes sur les 418 377 adhérents revendiqués. En juillet 2020, Le Canard Enchaîné, cité par Valeurs Actuelles, jette finalement un pavé dans la mare en indiquant que parmi tous ces militants, il n’en resterait que 20 000 en juillet 2020.
Les départs se succèdent chez les députés LREM avec une perte de la majorité absolue en mai 2020.
Mais entre-temps, Emmanuel Macron est parvenu à l’Elysée et les élections législatives de juin 2017 confortent son assise présidentielle avec un parti qui obtient la majorité absolue : 308 sièges (57,4% des fauteuils de l’Assemblée nationale) obtenus par les députés LREM. Un succès électoral qui sera vite terni par des vagues de départ au sein du groupe majoritaire.
En 2018, les députés Jean-Michel Clément, Frédérique Dumas, Paul Molac, François-Michel Lambert et Joachim Son-Forget annoncent quitter le groupe LREM sur fond de désaccords politiques. Fin novembre 2019, les députées Marion Lenne et Pascale Fontenel-Personne annoncent quitter la majorité présidentielle en reprochant ouvertement au parti présidentiel «son fonctionnement» et son «opacité». Les départs se succéderont de façon constante, et, en mai 2020, le parti présidentiel perd finalement sa majorité absolue avec 285 députés qui restent affiliés au groupe LREM.
Signe que le désir d’émancipation est fort chez certains de ces frondeurs, le 19 mai 2020, un neuvième groupe à l’Assemblée nationale est créé avec de nombreux dissidents de l’aile gauche de LREM. Ce groupe «Ecologie Démocratie Solidarité» est initialement composé de 17 députés, dont les ex-«marcheurs», Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot, Paula Forteza, le candidat déjà dissident à la Mairie de Paris, Cédric Villani, Aurélien Taché ou encore Martine Wonner, exclue pour avoir voté contre le plan de déconfinement d’Edouard Philippe.
Fonctionnement opaque, ultra-verticalité, le fonctionnement du parti pointé du doigt.
Ces défections à l’Assemblé nationale (AN) trouvent un écho fort dans les rangs des responsables du mouvement. En septembre 2020, le député de Paris et numéro deux de LREM, Pierre Person, démissionne de son poste de délégué général adjoint du mouvement et décide de ne plus siéger au bureau exécutif. Dans un entretien accordé au Monde, l’ancien numéro deux du mouvement souligne l’ultra-verticalité du processus de décision au sein du mouvement : «Je me suis heurté à une organisation trop repliée sur elle-même et qui ne tient pas assez compte de ses « marcheurs », de ses élus locaux ou de ses parlementaires», déclarait-il.
Dans son sillage, la députée et porte-parole du mouvement, Aurore Bergé, annonce son départ du mouvement, de même que le député Sacha Houlié, tous deux membres du bureau exécutif. Les reproches sont récurrents : manque d’attention accordée aux territoires, fonctionnement vertical et castrateur, aucune attention accordée aux militants. «Tout le monde se fiche de ce que pense La République en marche», aurait indiqué un ministre actuel auprès de l’AFP. «LREM, ça sert à distribuer des tracts. Tout le reste, les idées, c’est le président de la République qui le porte», aurait-il conclu.
Une succession de scandales parmi les membres de la majorité.
En plus de ces déboires internes, le parti présidentiel est rapidement secoué par une multitude d’affaires et de scandales en tout genre qui érodent la crédibilité de l’exécutif alors que le candidat Macron avait déclaré que «le principal danger pour la démocratie [était] la persistance de manquements à la probité parmi des responsables politiques, dont le comportement est indigne de la charge de représentant du peuple».
En 2018, l’affaire Benalla éclate avec des éléments indiquant la multiplication de passe-droits accordés à l’ancien collaborateur du chef de l’Etat (Alexandre Benalla) sans qu’aucune autorisation formelle (et légale) ne soit accordée. En 2019, François de Rugy, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, était contraint de démissionner après une série de révélations : dîners fastueux organisés alors qu’il présidait l’Assemblée nationale, coûteux travaux dans son logement de fonction, utilisation contestée de ses frais de mandat de député, logement à vocation sociale loué à Nantes. La même année en mars, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, était photographié dans une discothèque branchée en plaisante compagnie juste après la 17e journée de mobilisation des Gilets jaunes qui avait fait l’objet d’une lourde répression par les autorités. Quelques mois plus tard, le député LREM, Thierry Solère, aujourd’hui conseiller d’Emmanuel Macron, était mis en examen pour sept chefs d’infraction parmi lesquels recel de violation du secret professionnel, recel d’abus de bien sociaux, recel d’abus de confiance ou financement illicite de campagnes.
A l’heure actuelle, une vingtaine de proches d’Emmanuel Macron, plus ou moins impliqués dans LREM font l’objet d’enquêtes judiciaires ou de mises en examen sur des soupçons d’abus, de corruption ou d’infractions en tout genre. D’autres ont déjà fait l’objet de condamnations, comme Claire O’Petit, députée LREM condamnée pour «fautes de gestion» ou Mustapha Laabid, député LREM condamné pour «abus de confiance».
Municipales et législatives partielles, les récents échecs électoraux de LREM.
Enfin, premier réel test électoral du parti présidentiel : les élections municipales de 2020 qui se soldent par un échec cuisantpour l’exécutif. Dans la plupart des grandes villes françaises, et malgré des alliances parfois nouées avec la droite face aux écologistes, les candidats LREM n’ont pas su s’imposer face à la déferlante verte qui s’est abattue dans de nombreuses localités.
A Paris, l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, n’est arrivée qu’en troisième position (13,56 %), loin derrière Anne Hidalgo et Rachida Dati. A Lille, Violette Spillebout (20,58 %), s’est retrouvée distancée de près de 20 points par Martine Aubry et le candidat écologiste. A Lyon, Yann Cucherat s’est retrouvé en 3e position et les candidats LREM ont été éliminés de nombreuses villes comme Limoges, Besançon, Rennes, Rouen ou Perpignan.
Un désamour électoral confirmé par les six élections législatives partielles qui se sont déroulées en septembre 2020 à la suite de la démission d’un ou plusieurs députés eu égard aux restrictions liées au cumul des mandats. Dans le Haut-Rhin, les Yvelines, le Val-de-Marne, le Maine-et-Loire, la Seine-Maritime et la Réunion, tous les candidats de LREM ont été éliminés dès le premier tour.
L’état dans lequel se retrouve aujourd’hui le parti présidentiel ne manque pas d’inquiéter les proches collaborateurs du président qui s’interrogent sur l’utilité potentielle d’un parti en plein déclin à l’aune des élections présidentielles de 2022. «On sait très bien que LREM ne sera qu’une composante de ce qui portera la candidature d’Emmanuel Macron», aurait avancé un haut cadre du mouvement auprès de l’AFP. L’actuel patron de LREM, Stanislas Guerini, a par ailleurs annoncé que le «bureau exécutif» du parti sera entièrement renouvelé en juillet 2021. Bientôt de nouveaux départs ?