Alors que Joe Biden a débloqué 30 millions de dollars pour les recherches sur le paludisme, aucune des huit organisations engagées dans le projet ne se trouve sur le continent africain, le plus touché par cette maladie tropicale. Des chercheurs africains et/ou nés en Afrique fustigent le colonialisme dans le domaine de la science.
La lutte contre le paludisme, une maladie tropicale faisant des ravages en Afrique subsaharienne, est une priorité absolue aux États-Unis, du moins en paroles. L’Initiative du Président des États-Unis contre le paludisme, U.S. President’s Malaria Initiative (PMI), est presque une institution qui existe depuis 15 ans. Cette année Joe Biden se propose de lui donner un nouvel élan et a débloqué 30 millions de dollars (24,8 millions d’euros) pour les recherches consacrées à cette maladie, rapporte le Spiegel.
Peu après l’annonce de cette décision les critiques ont fusé, en particulier de la part de l’Afrique. Car pas un seul des huit partenaires au projet, lesquels font partie d’un consortium chargé de planifier et de contrôler l’Initiative, n’est situé sur le continent africain, tous venant du de l’hémisphère Nord. La recherche sur l’Afrique sera ainsi menée sans Africains, du moins au niveau de la prise de décisions immédiate. Les chercheurs qui veulent travailler avec des partenaires locaux ne sont pas représentés dans le consortium de contrôle.
Plusieurs scientifiques africains et/ou nés en Afrique ont protesté, d’abord sur Twitter, puis dans une lettre ouverte publiée dans la revue scientifique Nature Medicine.
Le système colonialiste de recherche se poursuit –
Ngozi Erondu, épidémiologiste nigéro-américaine et signataire de la lettre, a signalé au Spiegel que c’était du colonialisme en matière de science.
«Quand les Occidentaux viennent, ils prennent simplement la barre et construisent des structures parallèles au lieu de soutenir celles qui existent… Les institutions africaines resteront probablement encore des partenaires juniors, de sorte que le système colonialiste de science et de recherche se poursuivra.»
Elle trouve qu’il faut, au moins, avoir certains partenaires africains au niveau de la prise de décisions.
Selon elle, le problème réside dans le fait que les fonds assignés servent essentiellement à financer les frais administratifs des organisations occidentales au lieu de payer le travail sur des projets locaux. Dans le passé, jusqu’à 60% des budgets de recherche allaient aux frais de bureau des institutions occidentales.
Laisser les pays dire ce qu’ils veulent –
L’épidémiologiste estime que la présence de partenaires africains au niveau de la prise de décisions rend différentes les activités prévues. Ils pourraient dire exactement ce dont ils ont besoin.
«Les chefs de projet de l’Initiative contre le paludisme sont tous dans des pays qui n’ont même pas de paludisme. Dans le même temps, presque tous les pays africains touchés ont un programme de recherche existant, mais pas d’argent. Tout est question de relations de pouvoir», résume-t-elle.
Mme Erondu a aussi dénoncé les préjugés selon lesquels les Africains ne peuvent rien faire seuls, qu’ils n’en ont pas les capacités.
«Mais pourquoi les étrangers devraient-ils fixer les normes? Vous ne connaissez même pas les réalités sur le terrain. Vous devriez laisser les scientifiques locaux prendre les décisions. J’espère qu’un jour il n’y aura plus besoin de ressources extérieures», a-t-elle conclu.
Une maladie menaçant près de la moitié de la population mondiale –
Le paludisme est l’une des maladies tropicales les plus courantes et les plus graves, avec environ la moitié de la population mondiale risquant d’être infectée. Bien qu’il soit évitable et traitable, le paludisme entraîne une morbidité et une mortalité importantes, avec le plus grand nombre de cas et de décès dans les régions pauvres en ressources et chez les jeunes enfants.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’il y a eu environ 229 millions de cas de paludisme et 400.000 décès, principalement parmi les enfants de moins de cinq ans, en 2019. Dans l’ensemble, l’intensification substantielle des interventions contre cette maladie au cours de la dernière décennie a contribué à réduire l’incidence des cas et les taux de mortalité de respectivement 29% et 60% entre 2000 et 2019.