A qui profitent les polémiques autour de l’association islamiste turque Millî Görüs ?

Les polémiques entourant la construction d’une mosquée géante à Strasbourg et d’une école musulmane à Albertville ont fait la publicité de Millî Görüs, une association accusée d’être l’instrument du président turc Erdogan… à tort ?

Inconnue du grand public français il y a peu, la Confédération islamique Millî Görüs (CIMG), une association d’origine turque réputée proche des milieux islamistes, a fait parler d’elle avec ses projets de mosquée géante à Strasbourg et d’école à Albertville. Millî Görüs est pourtant implantée en Europe et en France depuis de nombreuses années, où elle est accusée par certains d’être un outil d’influence de Recep Tayyip Erdogan. L’essayiste spécialisé en géopolitique Alexandre del Valle nous aide à décrypter la situation et à comprendre à qui profitent ces polémiques, dont Millî Görüs pourrait bien sortir grandie.

Une mosquée géante à Strasbourg et une école musulmane à Albertville qui défrayent la chronique –

Le 22 mars 2021, le Conseil municipal à majorité Europe écologie les Verts (EELV) de la ville de Strasbourg a adopté «le principe d’une subvention» de 2,563 millions d’euros pour la construction de la nouvelle mosquée Eyyub Sultan, qui sera gérée par Millî Görüs. Un montant qui représente «10% du montant des travaux», selon la maire de la ville Jeanne Barseghian, dont la majorité a affirmé qu’il s’agissait d’un pourcentage habituel pour le subventionnement d’un lieu de culte. Jeanne Barseghian a ajouté que le texte avait néanmoins été amendé lors de son examen en prévoyant que le versement effectif de la subvention fasse «l’objet d’un autre vote». Si le projet aboutissait, il s’agirait de la plus grande mosquée d’Europe : le montant du chantier s’élève à plus de 25 millions d’euros avec un coût total de l’opération estimé à 32 millions d’euros. Les travaux avaient démarré en 2017 mais Millî Görüs a fait face à des problèmes de financement, ce qui avait entraîné l’arrêt du chantier en 2019. En Alsace également, Millî Görüs a par ailleurs déposé un projet de «salle de prière» auprès des services de la Ville de Mulhouse (Haut-Rhin).

Le vote de cette subvention a été très contesté par les opposants à la mairie. L’élu au conseil municipal Jean-Philippe Vetter (Les Républicains) a ainsi voté contre cette résolution et s’est ému publiquement du refus de la CIMG de signer en janvier la «Charte des principes pour l’islam de France», texte publiée par le Conseil français du culte musulman (CFCM) et promu par Emmanuel Macron dans le cadre de la lutte contre le séparatisme. Le porte-parole du RN et tête de liste pour les prochaines élections régionales Laurent Jacobelli a également soulevé cet argument, en déclarant qu’«il est scandaleux que des écologistes utilisent l’agent des strasbourgeois pour une organisation qui refuse de signer la Charte des principes de l’islam en France et entretient des liens avec l’ONG « Qatar Charity » qui est soupçonnée de participer au financement du terrorisme». Le candidat a également dénoncé «la complaisance des élus locaux qui contribuent à la progression de l’islam politique en Alsace». Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est lui aussi exprimé sur Twitter le 22 mars en ces termes : «La mairie verte de Strasbourg finance une mosquée soutenue par une fédération qui a refusé de signer la charte des principes de l’islam de France et qui défend un islam politique. Vivement que tout le monde ouvre les yeux et que la loi séparatisme soit bientôt votée et promulguée» faisant référence au projet de loi en cours d’examen au Parlement.

De son côté, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a jugé le 1er avril sur BFMTV et RMC que Millî Görüs allait «à l’encontre des valeurs de la République» et n’avait «pas vocation à organiser des activités, à exister dans la République», sans toutefois annoncer la dissolution de cette organisation.

Deux semaines après ce vote controversé de la subvention municipale, le préfet du Bas-Rhin a annoncé le 6 avril saisir la justice afin de faire annuler cette «décision litigieuse». «Les échanges de courriers récents» entre le préfet du Bas-Rhin Josiane Chevalier et le maire n’ont «pas permis d’aboutir au retrait de la délibération du conseil municipal», a fait savoir la préfecture, annonçant sa décision de «déférer la délibération litigieuse au tribunal administratif de Strasbourg». «Il s’agit d’obtenir l’annulation de la délibération du conseil municipal dont nous contestons la légalité», avait indiqué les services préfectoraux sans plus de précisions sur les moyens juridiques invoqués.

Eyüp Sahin, président du futur lieu de culte et de la Confédération islamique Millî Görüs région Grand Est, s’est alors dit «particulièrement affecté» par les «nombreuses accusations» visant son association et son projet lors d’une conférence de presse organisée le 6 avril. Dans une déclaration de principe endossée par deux autres organisations islamiques, Millî Görüs a proclamé à cette occasion son «adhésion aux principes de la République [et son] rejet de l’influence des Etats étrangers».

Dans la foulée, un sondage Ifop publié le 7 avril et commandé par le Grand Orient de France indiquait que les Français interrogés étaient très défavorables au projet de construction de cette mosquée. L’institut de sondage évoquait un «cinglant désaveu» et déclarait que «85% des Français s’y opposent, comme 81% des Alsaciens-Mosellans, 79% des Strasbourgeois et 87% sympathisants EELV.»

Dernier rebondissement : le 15 avril, Jeanne Barseghian a annoncé dans une tribune publiée dans les Dernières nouvelles d’Alsace que Millî Görüs avait retiré sa demande de subvention municipale, constatant «le besoin de consolider leur plan de financement». «Je prends acte de ce retrait et la Ville ne versera donc pas en l’état de subvention pour la poursuite de la construction de la mosquée », ajoute la maire de la capitale alsacienne, tout en rappelant avoir «conditionné le versement d’une subvention à la confirmation par l’association de son inscription dans les principes républicains et à la présentation d’un plan de financement transparent et consolidé».

Au même moment, Millî Görüs a aussi fait parler d’elle en Savoie. Le 6 avril, le tribunal administratif de Grenoble obligeait le maire d’Albertville à autoriser la construction d’une école primaire musulmane privée voulue par l’association. Le tribunal a estimé que les motifs urbanistiques avancés par la mairie – à savoir un manque de places de stationnement par rapport à l’envergure du bâtiment – n’étaient pas recevables, et a donné deux mois à cette dernière pour délivrer le permis de construire.

Le maire Frédéric Burnier-Framboret (divers droite) avait refusé le permis de construire, qui avait été déposé en 2019 par Millî Görüs pour implanter une école pouvant accueillir 400 élèves et qui occuperait les 4 000 m2 d’un terrain jouxtant la mosquée turque de la ville, gérée par l’antenne locale de la CIMG, dans une zone classée quartier prioritaire de cette commune de 20 000 habitants.

Dans une tribune publiée le 9 avril par Le Figaro, Frédéric Burnier-Framboret a vivement regretté la décision du tribunal, s’estimant «démuni» pour «contrer l’installation d’associations ou d’entreprises pilotées par des puissances étrangères, qui favorisent une cristallisation identitaire au cœur de nos territoires». «Le groupe scolaire envisagé comprendra 16 classes, un réfectoire, une cuisine, un gymnase. La capacité de cet établissement s’élèvera à 400 élèves au total, ce qui représente un quart des 1 200 écoliers de notre commune», décrit l’édile dans sa tribune. Le recours au Code de l’urbanisme était «le seul moyen législatif» à sa disposition pour s’opposer à la construction de cette école, a-t-il par ailleurs expliqué à l’AFP.

Le président de la CIMG France a réagi le 9 avril dans un communiqué en estimant que les les propos du maire d’Albertville sont «aussi tendancieux qu’inexacts». Il explique que l’école en projet «ne sera ni « islamiste » ni « turque »» mais «une école confessionnelle hors contrat comme il y en a déjà tant en France, la plupart catholiques ou juives», et dit espérer que son établissement pourra passer sous contrat après le délai légal de cinq ans. Le responsable balaie l’argument de la concurrence scolaire, sauf à vouloir «fermer toutes les écoles privées», et dénonce, derrière le «prétexte» du stationnement pour bloquer son projet, «l’hypocrisie» de Frédéric Burnier-Framboret et une «obsession avec [les] origines» de sa communauté. «Je ne suis pas le représentant d’un pays étranger. Je suis autant Français que vous, ne vous en déplaise», conclut Fatih Sarikir.

Le même jour, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a adressé une lettre au président Emmanuel Macron pour lui demander d’intervenir contre le projet d’école. «Ce projet d’école correspond à une volonté politique très claire : organiser la coupure entre la communauté turque et le reste de la commune, avec un projet démesuré […]», souligne Laurent Wauquiez dans son courrier au chef de l’Etat. Pour l’ancien chef des Républicains, «l’orientation» de l’établissement «consistera très clairement à promouvoir des valeurs qui ne sont pas celles aujourd’hui de la République». Rappelant que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin «a lui-même désigné Millî Görüs comme étant des « ennemis de la République »», le président de région demande au chef de l’Etat d’apporter son «soutien pour empêcher l’installation de cette école à Albertville sur notre territoire». «Il serait dramatique qu’au sein même de notre pays, le président de la République soit impuissant à faire respecter les principes qu’il a lui-même posé comme ligne directrice pour notre pays», a-t-il conclu.

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