Selon l’universitaire John Laughland, le poids de l’histoire ainsi que les récentes expériences européennes devraient laisser peu d’espoir aux velléités d’éclatement du Royaume-Uni entretenues par le Parti national écossais.
Cent ans presque jour pour jour après la création de l’Irlande du Nord, dans la foulée de la sécession progressive du sud de l’Irlande après la Première Guerre mondiale, le Royaume-Uni semble traverser une nouvelle épreuve avec l’Ecosse où les nationalistes, comme prévu, viennent de remporter les élections régionales, le 6 mai. Ceux-ci ont immédiatement réclamé un nouveau référendum sur l’indépendance pour renverser le résultat de celui de 2014, quand 55% des électeurs écossais avaient voté pour rester britanniques.
Cette suite des événements a donné une certaine joie maligne à ceux sur le Vieux continent qui pensent que l’éclatement du Royaume-Uni est la juste récompense du péché abominable du Brexit. Pourtant les choses sont loin d’être aussi simples que voudrait nous faire croire la très populiste Premier ministre écossaise Nicola Sturgeon, dont les éléments de langage sont sciemment structurés pour créer l’illusion d’un conflit entre «le peuple écossais» et «les politiciens à Westminster» (comme si elle n’était pas elle-même une politicienne).
Tout d’abord, comme le montrent les élections au Parlement écossais, le «peuple écossais» est divisé à 50/50 sur l’indépendance. Le parti national écossais (SNP) ayant échoué de justesse à obtenir une majorité absolue au parlement régional, les différents partis unionistes (travaillistes, conservateurs et libéraux) ont gagné autant de voix que les partis séparatistes (SNP et Verts). Il est assez cocasse d’ailleurs de réduire «le peuple écossais» aux seuls électeurs résidents en Ecosse, comme le font les nationalistes, le nombre d’Ecossais résidant au sud de la frontière, et ailleurs dans le monde, étant énorme. Sur les cinq derniers Premiers ministres britanniques, par exemple, trois (Blair, Brown et Cameron) étaient écossais ou avaient des origines écossaises.
En outre, les derniers sondages montrent une nette baisse du soutien à l’indépendance : sur les 38 sondages réalisés depuis le début de l’année, c’est-à-dire depuis le moment où le Brexit est réellement entré en vigueur, 18 ont donné une majorité aux unionistes (avec un écart entre 1% et 8%) contre 16 pour les indépendantistes (dont l’écart était généralement entre 1% et 6% avec un seul sondage qui donnait un écart de 11%). Avec 4 sondages qui mettaient les unionistes et les indépendantistes sur un pied d’égalité, il est évident qu’il n’y a pas de majorité claire en faveur de l’indépendance ni, sans doute, en faveur d’un deuxième référendum.
En outre, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’a absolument pas aidé la cause indépendantiste, bien au contraire. Deux raisons : d’abord, la stratégie principale des pro-européens britanniques avait été de susciter la peur devant les conséquences du Brexit. En cas de sortie de l’Union européenne et de son marché unique, la prospérité britannique allait fondre comme la neige au soleil. Or, ce «Projet Peur» a échoué de façon spectaculaire et il est aujourd’hui discrédité. La position des indépendantistes écossais est toujours de réintégrer immédiatement l’Union européenne, mais cela est une cause perdue qui deviendra de plus en plus ringarde au fur et à mesure que l’économie britannique continuera de prospérer en dehors du cadre européen. Pendant des décennies au XVIIIe siècle, les Jacobites fidèles à la dynastie des Stuart attendaient le retour du «roi au-delà de la mer» – en vain. Le SNP est-il prêt à se ridiculiser de la même manière ?
Ensuite, le Royaume-Uni ayant quitté l’Union européenne, le programme indépendantiste rencontre des difficultés supplémentaires. En 2014, le SNP avait plaidé pour une indépendance «soft» qui n’allait rien changer : l’Ecosse indépendante allait garder la livre sterling, la monarchie et, bien sûr, l’appartenance à un même espace économique que le reste du Royaume-Uni. Aujourd’hui, après le Brexit, une Ecosse qui serait redevenue membre de l’Union européenne aurait nécessairement une frontière économique, et sans doute une frontière dure avec l’Angleterre, ce qui serait très difficilement acceptable tant sur le plan économique que sur le plan émotionnel pour des peuples qui vivent sous le même régime politique depuis le début du XVIIe siècle.
Le Parti national écossais (SNP) prétend être prêt à organiser un référendum sans l’accord de Londres si le gouvernement britannique refuse un deuxième scrutin. Mais en réalité, la perspective d’un tel vote illégal est irréaliste. D’abord, les plus hautes autorités judiciaires en Ecosse ne valideraient pas une démarche sauvage car celle-ci est explicitement interdite par la loi sur la répartition des pouvoirs entre Londres et Edimbourg, la Constitution demeurant de la compétence nationale, c’est-à-dire du Parlement britannique où siègent, évidemment, des députés écossais.
Ensuite, le sort des autres mouvement indépendantistes en Europe n’est guère réjouissant pour les nationalistes écossais. Les indépendantistes catalans qui avaient organisé un référendum illégal en 2017 sont aujourd’hui pour la plupart en prison pour abus de fonds publics. Leur initiative de piraterie politique s’est échouée entre le roc de l’Etat espagnol et les sables de la non-reconnaissance internationale. Les Flamands ont depuis longtemps abandonné leurs velléités de rompre avec la Belgique ou d’intégrer les Pays-Bas. La Ligue du Nord italienne qui faisait trembler l’Italie voici 20 ans est allée jusqu’à abandonner formellement sa position sécessionniste : elle s’appelle aujourd’hui seulement «La Ligue». Le nationalisme corse ne semble pas sur le point d’obtenir l’indépendance de l’île. Même les terroristes en Irlande du Nord qui militaient pour la sécession de l’Irlande du Nord ont rendu les armes.
En réalité, la victoire des nationalistes écossais aux élections régionales n’est pas la conséquence d’une nouvelle volonté d’indépendance, mais d’un autre élément que les Européens devraient reconnaître car cela arrive un peu partout en Europe, à savoir l’effondrement du principal parti social-démocrate, le Parti travailliste, qui subit une déroute qui n’est certes pas encore comparable à celle du Parti socialiste en France mais qui ressemble déjà à celle des sociaux-démocrates allemands qui, avec la montée des Verts dans les sondages, paieront sans doute dans les urnes le prix de leur décennie d’alignement sur les chrétiens démocrates.
Il y une dizaine d’années, l’Ecosse était un fief du Parti travailliste : il n’y aurait jamais eu de gouvernements travaillistes à Londres s’il n’y avait pas eu de députés travaillistes écossais, 59 députés à la Chambre des communes étant élus dans des circonscriptions écossaises. Les travaillistes ont commencé à perdre en Ecosse dans les années 2000 pour y subir, aux élections législatives de 2019, leur plus mauvais résultat depuis 84 ans : aujourd’hui un seul député travailliste à la Chambre des communes représente une circonscription écossaise. Le SNP a donc tout simplement aspiré cet ancien électorat de gauche voire de l’extrême gauche : c’est donc moins Braveheart que Trotsky qui émerge aujourd’hui vainqueur au nord de la frontière.
Le SNP gouverne l’Ecosse depuis dix ans et il vient d’être réélu. Son pouvoir de nuisance est peut-être considérable. Mais de là à l’éclatement d’une union qui est beaucoup plus ancienne que la République française ou les Etats-Unis, il y a plus qu’un pas à franchir.