Chili: vers une nouvelle Constitution

Ce samedi 15 mai, les Chiliens élisent les membres de l’Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution. C’est le début d’un long processus démocratique arraché par la rue. Changer cette loi fondamentale, héritée de la dictature Pinochet, était l’une des principales revendications du soulèvement populaire de 2019 contre les inégalités sociales.

En octobre 2020, plus de 78 % des Chiliens s’étaient prononcés par référendum en faveur du remplacement de la Constitution. À la fin de ce week-end, le pays connaîtra la composition de l’Assemblée qui la rédigera.

Plusieurs règles ont été négociées entre le gouvernement Piñera et les partis politiques ces derniers mois. D’abord, l’Assemblée constituante sera totalement paritaire, ce qui constitue une première mondiale. Plus de 45 % des sièges seront obligatoirement occupés par des femmes, ce qui constitue une victoire pour le mouvement féministe chilien. « C’est un mouvement très dynamique, qui a été le fer de lance des mobilisations récentes et qui a très clairement fait comprendre qu’il n’y aurait pas de changement de Constitution sans les femmes », note Marion Di Méo, docteure en Sciences politiques.

17 sièges sont aussi réservés à des représentants autochtones, comme les Mapuche, qui vont essayer de faire avancer leurs combats et d’être enfin reconnus dans la future charte fondamentale du pays. « Ce sont des avancées importantes, surtout dans un Chili qui reste très conservateur, où les partis sont obsédés par la question de la stabilité, du consensus », commente Franck Gaudichaud, professeur en histoire et études des Amériques latines contemporaines à l’Université Toulouse – Jean Jaurès.

Déconstruire un modèle néo-libéral très inégalitaire

Cette Assemblée aura neuf mois – un an maximum – pour rédiger le texte qui remplacera la Constitution datant de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990). C’est surtout un modèle de société qui est rejeté.

« La Constitution de 1980 a mis en place un modèle économique basé sur la privatisation des biens publics, rappelle la journaliste indépendante chilienne Paola Martinez Infante. L’éducation et la santé sont privatisées. Même l’eau est privatisée, alors qu’il s’agit d’un droit fondamental. Cette Constitution a construit un modèle néo-libéral très inégalitaire. L’objectif de cette nouvelle loi fondamentale est de créer un modèle de pays dans lequel tous ces biens publics seraient accessibles à l’ensemble des citoyens chiliens. »

Ces inégalités se sont encore creusées depuis le mouvement social de 2019, en raison de la pandémie. « Le pays connaît l’une de ses plus graves crises depuis les années 1930, estime Franck Gaudichaud. Au-delà du taux de participation de ce week-end, c’est la capacité de cette Constituante à répondre aux préoccupations sociales qui sera la clé de sa légitimité. »

Pourtant, il sera difficile de répondre aux attentes, car chaque article doit être approuvé à la majorité des deux tiers. « Avec un tiers des voix, les constituants pourront bloquer un ensemble de mesures. Les espoirs de transformations sociales, qui sont très forts, risquent d’être douchés par une Constituante au sein de laquelle les grands partis vont pouvoir bloquer en permanence tout ce qu’ils considéreront comme des ruptures ou des transformations trop importantes. Ce sont les mêmes partis qui, depuis 30 ans, n’ont pas voulu changer la Constitution ou n’ont pas tout fait pour la changer. »

Si cette nouvelle Constitution est un bon point de départ, elle ne pourra pas réduire les inégalités à elle seule. « Elle faisait partie des leviers qui entravaient la mise en place de réformes, explique Marion Di Méo, docteure en Sciences politiques. Mais une fois que le nouveau texte rendra ces réformes structurelles possibles, il faudra avoir le courage politique et la majorité suffisante au Parlement pour pouvoir les mettre en place. »

2021 est justement une année électorale très importante. En plus des membres de l’Assemblée constituante, les Chiliens élisent aussi ce week-end leurs maires, leurs conseillers municipaux et leurs gouverneurs. Ces scrutins ont valeur de test avant la présidentielle du mois de novembre, dans un contexte d’isolement du président Sebastian Piñera.

« C’est un président complètement carbonisé politiquement, il est en dessous de 7 % d’approbation, juge Franck Gaudichaud. D’où l’importance de cette élection, car de nombreux candidats vont jouer leur carte pour mesurer leur popularité. Ils vont décrypter à la lettre tous les résultats pour se projeter vers la présidentielle ».

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