Colombie: le mouvement social prend de l’ampleur, la police épinglée pour la violente répression

Un mouvement social secoue la Colombie depuis trois semaines. Une nouvelle journée de mobilisation est prévue ce mercredi 19 mai. Depuis le 28 avril, pas un jour ne passe sans manifestations et heurts avec la police. Des dizaines de personnes sont mortes en marge des rassemblements, certaines lors de tirs à balles réelles des forces de l’ordre. Tout est parti du rejet de la réforme fiscale, mais à présent le gouvernement fait face à un mouvement de contestation beaucoup plus large.

« Ici à Cali, la situation reste très instable. Il y a des manifestations pacifiques pendant la journée et des affrontements avec la police pendant la nuit. Les principales entrées de la ville sont à nouveau bloquées, rapporte Sandra Herran, sociologue, qui vit dans la ville du, sud-ouest du pays. Tous les matins, c’est l’incertitude : on se réveille en se demandant ce qui sera fermé ou pas, si on peut sortir ou pas. »

Cali est l’un des épicentres de la mobilisation sociale qui secoue la Colombie depuis le 28 avril. Si la situation dans ce chef-lieu du Valle del Cauca – et carrefour du trafic de drogue – s’est un peu calmée après que la ville a connu des violences inédites, avec notamment des groupes armés tirant sur les manifestants, elle reste, selon Sandra Herran, imprévisible. Une partie des habitants sont toujours mobilisés et tous suivent les négociations en cours entre le gouvernement et le comité national de grève qui ont débuté dimanche dernier, pour l’instant sans grand résultat.

La police épinglée pour sa répression violente

Le comité national de grève demande, entre autres, une démilitarisation de la police et le retrait des opérations de maintien de l’ordre de l’unité spéciale anti-émeute ESMAD. Une revendication difficile à obtenir, estime le professeur Sébastien Velut, spécialiste de la Colombie : « Cette revendication traduit surtout la grande méfiance de la population à l’égard des forces de l’ordre, qui dépendent du ministère de la Défense et qui ont été entraînées pour combattre la guérilla. »

Mais les pressions sur le gouvernement contre l’usage excessif de la force viennent aussi de l’étranger, de l’ONU et surtout des États-Unis, explique Yann Basset, professeur de sciences politiques à l’Université du Rosaire, à Bogota : « Récemment, une cinquantaine d’élus du Congrès se sont émus de la répression en Colombie et ont demandé au président Joe Biden de ne plus financer la police colombienne. Et ça, c’est une pression qui peut être efficace sur le gouvernement. » Selon Yann Basset, les forces de l’ordre agissent déjà moins violemment qu’au début des manifestations.

Un conflit social latent depuis plusieurs années

Au-delà du problème des violences policières, d’ailleurs régulièrement dénoncé par les ONG locales, il y a des revendications sociales, comme un meilleur accès à l’éducation et à la santé. La Colombie est, avec le Chili et le Brésil, le pays le plus inégalitaire d’Amérique Latine, et la pandémie de Covid-19 a encore aggravé la situation. Plus de 40% de la population se trouve actuellement sous le seuil de pauvreté.

Cela fait longtemps que la grogne sociale a commencé à monter, explique Sébastien Velut : « Les mouvements sociaux ont été mis en sourdine à cause du conflit avec la guérilla. La question du conflit étant apparemment résolue par les accords de paix de 2016, les revendications sociales reprennent de l’importance ». D’après ce spécialiste d’Amérique Latine, la mobilisation en Colombie ressemble beaucoup aux manifestations au Chili en 2019. Les gens se disent : « Il y a eu une croissance économique, on nous dit qu’on est formidable, qu’on est entré dans l’OCDE, mais nous, classe moyenne, on ne voit pas notre situation s’améliorer. »

Une jeunesse en première ligne des manifestations

Trouver une solution à ce conflit ne sera pas simple, il faudra sûrement plusieurs étapes. Car il y a en fait plusieurs fronts : les négociations en cours entre le gouvernement et le comité national de grève, mais aussi toute une jeunesse qui descend dans la rue pour l’emploi et l’éducation. Une jeunesse qui ne se sent pas représentée par le comité de grève qui est en train de négocier avec le gouvernement. Une jeunesse « déconnectée », victime de la crise économique et sociale. Un sondage de Cifras y Conceptos, mené auprès de 2 556 jeunes de 13 villes, montre qu’ils se méfient de la présidence, de la police et de l’armée, et se préoccupent du chômage, de la pauvreté, la corruption, l’insécurité, des inégalités, de l’accès aux études et de la santé. Le politologue Yann Basset estime que leurs revendications, comme la gratuité de l’enseignement supérieur, alimenteront la campagne pour l’élection présidentielle de 2022.

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