Pour la rentrée 2021, Jean-Michel Blanquer veut renforcer le poids du contrôle continu au bac. Des enseignants s’inquiètent de ce nouvel examen à la carte, jugé différemment selon les lycées. Avec des parents qui risquent d’accentuer leur pression…
A peine sa réforme du bac modulaire appliquée, Jean-Michel Blanquer veut déjà le remodeler. Le ministre de l’Education nationale souhaite ainsi mettre fin, dès la prochaine rentrée, aux épreuves sur table du tronc commun – qui ont lieu durant l’année scolaire de première et terminale. Sont concernés l’histoire-géographie, les langues vivantes, l’enseignement scientifique (ou mathématiques pour la voie technologique), l’EPS et la discipline de spécialité. Celles-ci correspondent à 30% de la moyenne globale.
Jean-Michel Blanquer veut désormais les remplacer par des notes acquises durant toute l’année lors de contrôles continus. Entre la première réforme du bac Blanquer et la future retouche, les élèves sont de moins en moins évalués sur des épreuves nationales. Avec sévérité, syndicats comme enseignants ont publiquement dénoncé un bac qui deviendrait de plus en plus «local» ou à la «carte».
Jean-Michel Blanquer s’en est défendu à l’Assemblée nationale le 29 juin, déclarant que le contrôle continu permettrait «de faire travailler toute l’année les élèves», et considérant que «le caractère national et fort du baccalauréat [sortirait] renforcé de cette réforme». Une argumentation battue en brèche par deux enseignants non syndiqués, que RT France a contactés, et ayant publiquement émis des critiques sur les réseaux sociaux.
«Il y aura une compétition beaucoup plus acharnée entre les lycées, dont certains voudront garder leur prestige… cela va de fait accentuer les inégalités entre les établissements», craint Xavier Grand-Jacquot, professeur certifié de mathématiques dans un lycée militaire et auteur de manuels scolaires. Tout aussi inquiet, son collègue d’histoire-géographie détaché au Lycée français de Sfax en Tunisie, Jean-Baptiste Martin, signale qu’il y aura un hiatus supplémentaire entre les établissements publics et privés, avec «une différence de notations» : «En payant la scolarité dans le privé, les parents d’élèves attendront un service…» Ces parents s’identifieront en quelque sorte à des clients et pousseront le lycée privé à offrir, sur un plateau, de bonnes notes à leurs têtes blondes.
Des enseignants pris en étau entre la hiérarchie et les parents ?
C’est d’ailleurs l’une des principales préoccupations des enseignants interrogés, et des témoignages similaires se retrouvent en nombre sur les réseaux sociaux : la mise sous pression de l’enseignant face à des parents de plus en plus interventionnistes auprès des directions et des académies. «La moindre note délivrée va compter pour le bac, c’est catastrophique», annonce Jean-Baptiste Martin qui, à l’image du football où chaque Français se sent sélectionneur de l’équipe de France, évoque des parents qui vont eux aussi chercher à jouer le rôle d’enseignant : «On va avoir des millions d’enseignants, tout le monde sera prof. Dès qu’il y aura une mauvaise note ça demandera des rendez-vous, cela contestera, ils remettront en cause le professeur, le contrôle…»
Jean-Baptiste Martin pense en outre aux jeunes enseignants régulièrement envoyés dans des établissements difficiles en début de carrière, qui devront assumer leur notation. Il imagine aussi la dérive des «copinages entre des parents d’élèves et des enseignants», qui existent déjà selon lui, et dont les effets sont tout aussi dévastateurs sur la cohérence de la notation pour l’obtention du diplôme.
«Même si je ne l’ai pas connu dans mon établissement, on a aussi l’exemple de parents qui essaient de soudoyer les professeurs pour avoir de bonnes notes ou améliorer celles de son enfant», déplore pour sa part Xavier Grand-Jacquot. Il estime que le «risque d’avoir de gros conflits par rapport à ça» n’est pas négligeable.
Les parents peuvent néanmoins ne pas être les seuls responsables des surnotations, comme c’est le cas actuellement avec les harmonisations de notes. Cela a conduit à deux crus exceptionnels en 2020 et 2021 avec des taux de réussite à plus de 90% avant les rattrapages.
«On nous dit clairement d’être gentils, d’être bienveillants», ironise Xavier Grand-Jacquot. «Il va falloir montrer que notre académie c’est la meilleure. De toute manière, on nous bride déjà», concède son homologue en histoire-géographie.
Le baccalauréat devient-il un brevet des lycées sans valeur ?
«Il est vrai que maintenant les notes ne veulent plus dire grand-chose», appuie par voie de conséquence Jean-Baptiste Martin. Il prévient qu’«avec ce nouveau bac, cela risque de devenir un peu n’importe quoi avec les notes» : «On ne va pas savoir comment obtenir le niveau d’un élève avec des notes qu’il aura acquises en fin de parcours. C’est très compliqué maintenant de juger le niveau d’un élève.»
« Le ministère de l’Instruction publique visait à offrir une instruction pour tous, égalitaire, avec pour principe la méritocratie… On est en train de tout casser »
Xavier Grand-Jacquot envisage comme une certitude ce qui se trame pour l’entrée des bacheliers dans les études supérieures : «Les établissements vont devoir mettre en place des examens d’entrée et faire des tests de niveau pour vraiment juger l’élève.» En somme, le bac ne serait même plus une porte d’entrée pour la poursuite des études. C’est donc tout le principe de la méritocratie, inhérente aux valeurs de la République française, qui est de nouveau touchée. «La nouvelle réformette de Jean-Michel Blanquer est une offense à la construction de l’éducation. A une époque, le ministère de l’Instruction publique visait à offrir une instruction pour tous, égalitaire, avec pour principe la méritocratie… On est en train de tout casser», affirme de ce fait Jean-Baptiste Martin.
Et Xavier Grand-Jacquot d’exposer l’une des raisons inavouées qui pousseraient Jean-Michel Blanquer à progressivement abandonner les examens sur table : faire des économies. «Le contrôle continu coûte moins d’argent à l’Education nationale. Les épreuves communes sont une usine à gaz dans les établissements : il faut banaliser des journées, il faut rémunérer les enseignants pour ceux qui corrigent…», remarque-t-il.
« Le contrôle continu coûte moins d’argent à l’éducation nationale »
A lire et écouter de nombreux professeurs, si elle demeure plus coûteuse, une réforme du bac plus égalitaire consisterait éventuellement à revenir aux épreuves traditionnelles communes et nationales. «Le bac d’avant proposait des épreuves nationales avec un niveau donné, les élèves devaient donc travailler pour avoir ce niveau-là», soutient Xavier Grand-Jacquot. Se disant lui aussi «profondément attaché à ce type d’épreuves terminales qui mettent l’élève en condition d’examen», Jean-Baptiste Martin assure que cela le «forme pour la poursuite de sa scolarité en études supérieures». Certes, il concède que la «question du stress» n’est pas simple pour tous les lycéens, mais observe que ce baccalauréat-là permettait à «tout le monde de passer la même épreuve avec la même chance de réussir grâce, entre autres, à l’anonymat des copies».
Selon Le Parisien, le ministre concertera le 8 juillet avec les organisations syndicales. A l’image du Snalc, peu semblent acquises à la cause de Jean-Michel Blanquer. Celui-ci devrait rendre son arbitrage dans la foulée. Jean-Baptiste Martin ne se leurre pas. S’il sent «un vent de contestation» dans la profession, il doute que les enseignants soient écoutés, concluant d’une manière un peu pessimiste : «Si une décision doit être prise, on sera bien les derniers à être mis au courant.»