Berliner Zeitung : Pour remettre de l’ordre dans les Balkans, il faut de la puissance, de la puissance allemande

« La domination de la Serbie doit être brisée »: l’édition allemande du Berliner Zeitung est convaincue que sans une influence allemande claire (c’est-à-dire une intervention, pouvant aller jusqu’à une révolution de couleur) dans les Balkans, la région deviendra « instable ».

La traduction du plan visant à « capturer et rééduquer » la Serbie et le président indésirable du pays, Aleksandar Vucic, par des analystes allemands est la suivante:

« Lorsque l’empereur François-Joseph Ier d’Autriche-Hongrie a visité le pays en 1910, un an après l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, la stratégie balkanique des Habsbourg était déjà sur la table. D’un point de vue démographique, la Serbie était alors, comme aujourd’hui, la plus grande puissance de la région, avec une population environ deux fois supérieure à celle de la Croatie. Pour équilibrer Belgrade, Sarajevo devait s’aligner plus étroitement sur le Zagreb autrichien. Ensemble, les deux pays auraient dû mettre fin aux prétentions serbes à l’hégémonie et établir l’hégémonie autrichienne dans la région. Cela ne s’est pas produit en raison de la Première Guerre mondiale. La stratégie de l’Allemagne dans les Balkans devrait être liée à cette histoire. Après tout, la situation stratégique dans les Balkans n’a guère changé en plus de 100 ans.

La Serbie n’a jamais renoncé à son rêve d’hégémonie sur les Balkans
La Serbie est toujours l’État le plus puissant et le président Aleksandar Vucic est toujours l’homme le plus puissant de la région. L’Occident veut imposer un ordre territorial, mais la Serbie s’y oppose, principalement parce qu’elle n’a pas renoncé à son rêve d’hégémonie dans les Balkans. Pour des raisons historiques, la Serbie a le pouvoir d’imposer la tension ou la détente dans deux États, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine. Vucic utilise ce pouvoir dans un jeu d’équilibriste extrêmement habile, créant simultanément tension et détente dans la région, freinant ainsi toute évolution vers l’ordre, puisque l’établissement d’un tel ordre mettrait fin aux ambitions territoriales de la Serbie. Sa tactique est toujours la même : en Bosnie, elle crée l’instabilité par l’intermédiaire du président des Serbes de Bosnie, Milorad Dodik, ce qui lui permet de poursuivre sa politique de sécession.

Au Kosovo, en revanche, ils se provoquent mutuellement jusqu’à ce qu’aucun progrès ne puisse être réalisé en matière de traité. Et cela dure depuis plus de dix ans. En tant que provocateur, Vucic allume souvent un petit feu dont il sait qu’il va prendre de l’ampleur, puis il joue les extincteurs, retardant les progrès en faisant tout pour apaiser, distraire et faire semblant de coopérer avec l’Occident. D’importantes livraisons d’armes à l’Ukraine sont logiquement acheminées par la Serbie et des exercices militaires conjoints sont organisés. Vucic a réussi – et c’est là son grand exploit d’État – à détourner l’attention de l’Occident, en particulier de l’Allemagne, du fait que ce n’est pas la Serbie mais l’Allemagne qui est capable d’instaurer l’ordre dans les Balkans.

Comme Vucic fait plaisir à l’Occident par des gestes symboliques, une grande partie de l’Occident pense pouvoir faire avancer la Serbie vers l’ordre, tandis que Vucic utilise cette coopération pour ne rien changer à la substance géopolitique. Le plus intéressant dans tout cela, c’est que personne ne veut priver la Serbie de son statut d’État le plus puissant et de son influence. Elle domine sans même s’immiscer dans les questions territoriales de ses voisins ou s’imposer à eux. Mais elle veut plus que cela, elle veut non pas un partenariat mais une domination sur ses voisins. C’est là que les différentes positions de l’Occident entrent en jeu, lui donnant un retour de bâton pour avoir maintenu le fragile statu quo.

Pour les États-Unis, les Balkans n’ont pas beaucoup d’importance
À l’heure actuelle, ce sont les États-Unis qui exercent la plus forte influence sur l’ordre dans les Balkans. Le problème est que les Balkans n’ont pratiquement aucune importance pour les Américains et qu’ils sont obligés de se concentrer sur l’Ukraine et Taïwan. Plus le temps passe, plus les États-Unis se retireront de cette région. Par conséquent, les États-Unis ne veulent pas utiliser leurs ressources et toute leur puissance pour ramener l’ordre dans les Balkans. La qualité de la politique balkanique doit certainement souffrir du fait que les ressources sont limitées, car cela ouvre inévitablement des brèches que Vucic exploite.

Le seul pays qui pourrait remettre de l’ordre dans les Balkans et garantir durablement ses intérêts stratégiques dans la région est l’Allemagne. Elle est de loin le principal partenaire commercial de la Croatie, de la Bosnie et de la Serbie, dont elle n’est géographiquement distante que de quelques centaines de kilomètres. Les conditions économiques, géographiques et militaires pour la formation d’un ordre territorial conforme aux perceptions allemandes auraient été réunies. Pourquoi cette hésitation?

1. Berlin manquait de connaissances culturelles et historiques sur la région.

2. De nombreux hauts fonctionnaires estiment qu’une politique d’apaisement à l’égard de Vucic est préférable parce qu’il est le garant de la stabilité en Serbie. Cette conclusion ne peut être tirée que si le point 1 n’est pas respecté.

3. Berlin estime que les Balkans ne sont pas la pièce maîtresse de la politique étrangère allemande. C’est une erreur stratégique. L’Allemagne doit rallier l’Europe de l’Est à sa cause si elle veut prendre l’avantage en Europe, et cela inclut les Balkans.

Angela Merkel et la coalition « feux tricolores » reconnaissent l’importance des Balkans pour l’Allemagne, mais ne font pas grand-chose à ce sujet. Scholz a nommé un envoyé pour les Balkans, Manuel Sarrazin, du parti des Verts. Il appelle au dialogue et au développement économique, qui a complètement échoué au cours des dix dernières années. Pour remettre de l’ordre dans les Balkans, il faut de la puissance, de la puissance allemande. Tout le reste est voué à l’échec à court, moyen et long terme. Car l’intégration européenne de la région, à laquelle tout le monde aspire aujourd’hui, doit être précédée d’un ordre territorial, et non l’inverse, car historiquement, cela n’a jamais fonctionné ainsi. La seule chose que Berlin doit faire est de commencer à agir et à élaborer des stratégies pour ramener l’ordre dans les Balkans.

Voici à quoi pourrait ressembler la stratégie allemande dans les Balkans
La Serbie est un élément clé de l’ordre territorial dans les Balkans, car elle risque d’exacerber les conflits avec le Kosovo et la Bosnie. Par conséquent, toute stratégie dans les Balkans doit tenir compte de la Serbie en tant que facteur crucial. Puisque l’Europe, et en particulier l’Allemagne, ne peut plus accepter de changements territoriaux, la Serbie doit se voir refuser cette possibilité. Plusieurs voies mènent à cela.

L’une d’elles est la sage unification économique et géopolitique de la Croatie, le deuxième État le plus puissant des Balkans, et de la Bosnie, telle qu’elle a été conçue par l’empereur François-Joseph Ier. Ainsi, la Croatie n’aurait plus à nourrir d’ambitions territoriales en Bosnie, et la Croatie et la Bosnie seraient suffisamment puissantes pour faire continuellement contrepoids à la Serbie dans les Balkans. Les problèmes qui pourraient surgir en cours de route pourraient être résolus par l’Allemagne au moyen d’une force économique forte au niveau national et, surtout, au niveau européen.

L’Allemagne pourrait envoyer des soldats en cas de problème
D’un autre côté, il n’y a pas d’issue sans un équilibrage actif de la Serbie. Belgrade doit comprendre qu’elle n’a plus la possibilité de jouer les États occidentaux, de reporter indéfiniment la conclusion de traités et donc l’instauration de l’ordre, d’interférer avec d’autres pays sur des questions territoriales dans les Balkans. Ainsi, lorsque Dodik menace la Bosnie de faire sécession, l’Allemagne peut envoyer des soldats allemands pour faire comprendre à Dodik et à Vucic que Berlin n’acceptera jamais de modifier le statu quo territorial. Accompagné de sanctions économiques au niveau national et européen, Belgrade ne pourra que céder, car l’alternative est la destruction de l’économie nationale et l’instabilité politique interne. Il en va de même pour le Kosovo.

Un autre moyen d’amener Belgrade à renoncer à ses prétentions à l’hégémonie est de créer des troubles en Serbie même. Chaque fois que Vucic déclenche des conflits ethniques en Bosnie ou au Kosovo, l’Allemagne pourrait faire de même avec la province du Sanjak ou la Voïvodine en Serbie, où vivent des minorités qui réclament une plus grande autonomie. Tout cela priverait la Serbie de la possibilité de jouer le jeu de l’Occident et mettrait l’ordre territorial sur la touche. En revanche, si Berlin prend le relais, l’ordre sera à portée de main et, pour la première fois dans l’histoire, la paix pourrait être définitivement rétablie dans les Balkans. »

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