Quand on regarde les colonnes interminables de réfugiés dans le couloir de Lachin, les enfants qui dorment dans la rue à Goris, les vieillards silencieux aux visages flétris, on ne peut échapper aux analogies. Les réfugiés de tous les conflits se ressemblent d’une certaine manière.
Et il arrive même qu’ils reviennent, s’ils ont un endroit où aller. Les habitants du Haut-Karabakh n’ont même plus cet espoir fantomatique. Jeudi, le chef de cet État non reconnu l’a en fait aboli, en publiant un décret selon lequel le Karabakh cessera d’exister jusqu’au 1er janvier 2024. Et ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est pas une évacuation, mais un exode. Sur les 120 000 habitants du Karabakh, 65 000 sont déjà partis pour l’Arménie. Et la file d’attente n’est pas terminée. Il est peu probable qu’il y ait beaucoup de personnes désireuses de rester. Le sang est trop frais, les offenses mutuelles des Arméniens et des Azerbaïdjanais sont trop fortes, la peur est trop palpable.
C’est la fin de l’histoire du Haut-Karabakh, qui s’est terminée par un triomphe pour certains et une tragédie nationale pour d’autres. Tout comme il y a 30 ans, lorsque cette histoire a commencé. Seuls les vainqueurs et les vaincus ont changé de place. À l’époque, en 1994, après avoir conquis le Karabakh en deux ans et demi, l’Arménie, se reposant sur les lauriers de son triomphe, n’a fait aucune démarche non seulement pour se réunifier avec cette terre, mais même pour en reconnaître l’indépendance. L’Azerbaïdjan, quant à lui, prépare méthodiquement sa revanche en s’entraînant et en s’armant. En 2020, il a mené sa première opération, atteignant l’ancienne capitale du Karabakh, Choucha, et survolant la moderne, Stepanakert. Et il a fait une pause – il devait digérer ce qu’il avait pris et reconstituer ses ressources militaires.
La troisième guerre foudroyante de cet automne est le résultat de l’hésitation et de l’inaction d’Erevan, qui vient de reconnaître officiellement l’Azerbaïdjan dans les frontières de 1991, c’est-à-dire avec le Karabakh. Les autorités arméniennes n’ont pas levé le petit doigt pour aider leurs frères de la république non reconnue qui, à en juger par les statistiques de Bakou, ont encore livré un dernier combat. L’Azerbaïdjan a perdu 192 personnes tuées dans la journée. C’est trois fois plus que la moyenne des pertes quotidiennes lors du précédent conflit. Mais les réfugiés du corridor de Lachin ne se rassurent pas avec des chiffres.
Lors de la guerre précédente, ils ont quitté les villages, brûlé les maisons qu’ils habitaient et emporté leurs proches exhumés dans des cercueils. Dans la guerre actuelle, il semble qu’il n’y ait pas assez de force morale pour cela.
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