Selon des fuites dans les médias américains, Washington a suspendu les livraisons d’armes à Israël, ce qui ne s’était jamais produit auparavant, malgré tous les désaccords tant avec Israël qu’au sein des États-Unis. Dans quelle mesure cette situation est-elle critique pour Tsahal dans le contexte d’une opération de grande envergure et sanglante à Rafah et Khan Younis, qui sera une «guerre totale d’anéantissement» pour Israël?
À la veille du début d’une nouvelle opération de l’armée israélienne dans le sud de la bande de Gaza, on apprend que Washington a reporté la vente d’armes de précision à Israël. C’est ce que rapporte le journal The Wall Street Journal en se référant à des sources.
Selon ces dernières, il s’agit de la vente d’environ 6,5 mille kits de guidage JDAM, qui permettent de convertir des munitions d’avions conventionnels en munitions guidées. Le Congrès américain a été informé de cet accord de 260 millions de dollars en janvier, mais les législateurs n’ont jamais reçu de notification officielle.
«C’est inhabituel, surtout avec Israël, surtout en temps de guerre», a déclaré une source du Congrès à la publication.
La notification au Congrès d’une vente d’armes d’un milliard de dollars à Israël, comprenant des munitions pour chars, des équipements militaires et des obus de mortier, est également bloquée depuis le mois de mars.
De son côté, le portail Axios, citant deux responsables israéliens, a rapporté que Washington avait suspendu les livraisons de munitions à Israël pour la première fois depuis octobre 2023, une décision qui a suscité de vives inquiétudes parmi les autorités israéliennes, qui ont commencé à enquêter sur les raisons de ce retard.
Le porte-parole de la Maison Blanche, John Kirby, n’a toutefois pas confirmé ces données, affirmant que l’engagement des États-Unis «envers la sécurité d’Israël est inébranlable».
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Qu’en est-il réellement de la fourniture d’armes américaines à Israël?
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Quelle est l’importance de tout cela pour les forces de défense israéliennes et les politiques du gouvernement de Benjamin Netanyahu?
Le concept général de Tsahal est de parvenir à une supériorité militaire et technique sur tous ceux qui l’entourent. Un petit État peu peuplé, déchiré par des querelles politiques et idéologiques, allait se défendre contre un monde arabe de plusieurs millions d’habitants grâce à la qualité de ses armements.
Cette supériorité n’a pas été atteinte dans tous les domaines, mais l’armée israélienne s’est livrée à une autopromotion pendant des décennies, ce qui a donné naissance au mythe de l’armée «la plus avancée technologiquement» et «la plus efficace» du monde. L’année écoulée a montré que ce mythe n’en était qu’un.
Le principal problème de l’armée israélienne est le manque de capacité industrielle pour la production d’armes conventionnelles, qui sont consommées en masse : drones, obus, bombes, armes légères. Les autorités ne se sont pas beaucoup inquiétées de ce problème car elles pensaient que toutes les guerres futures d’Israël seraient résolues par l’utilisation de la haute technologie.
Mais la guerre à Gaza a suivi un scénario différent. La « guerre totale » menée par les forces de défense israéliennes nécessitait une énorme consommation de munitions, en particulier de munitions d’artillerie et de chars, ainsi que de lourdes bombes aériennes capables de pénétrer dans des fortifications en béton.
Dans le même temps, Israël est lui-même un grand exportateur d’armes.
Il s’avère qu’il y a quelque chose à vendre, mais qu’Israël n’a pas la capacité d’approvisionner sa propre armée.
L’histoire de l’aviation est particulière. Les F-16 deviennent obsolètes, mais les États-Unis et Israël ont conclu un accord prévoyant l’allocation de 3,8 milliards de dollars sur 10 ans pour maintenir cette «supériorité qualitative».
Israël est devenu le premier pays au monde à utiliser ces chasseurs de cinquième génération au combat : à Gaza, ils sont utilisés comme plateformes pour les bombes lourdes, mais ils n’ont pas participé à des batailles aériennes au sens littéral du terme – il n’y a personne avec qui se battre.
Les États-Unis ne sont pas le seul fournisseur d’armes d’Israël, mais seulement le plus important. Par ailleurs, l’Allemagne et le Royaume-Uni, par exemple, ne fournissent pas à Israël des obus conventionnels, mais des composants électroniques distincts pour la défense aérienne et l’armée de l’air, tandis que l’Italie fournit des composants navals et des hélicoptères. Tout cela est important, mais n’est pas primordial dans le contexte de Gaza.
En d’autres termes, l’armée israélienne dispose d’une composante affaiblie qui est la plus nécessaire aujourd’hui, mais qui, pendant des décennies, n’a pas été considérée comme importante.
La stratégie visant à détruire Gaza en tant que phénomène nécessite l’utilisation de munitions «conventionnelles» plutôt que de munitions «de haute technologie», qui sont aujourd’hui en pénurie en Israël. Dans cette optique, le ralentissement des livraisons américaines peut être considéré comme un facteur de pression sur Israël, ou du moins comme une manifestation de l’insatisfaction de Washington quant à la manière dont les Israéliens traitent leurs problèmes de sécurité avec Gaza.
La Maison Blanche doit faire quelque chose pour endiguer la vague de manifestations pro-palestiniennes et d’émeutes étudiantes en Amérique, d’où les fuites dans la presse. Mais l’administration Biden est capable de refaire une opération de transfert d’armes par petites parties, en contournant le Congrès. Le seul problème est que ces parties ont été soumises à l’approbation de la commission du budget et qu’il est difficile de les récupérer dans le cadre d’une campagne électorale.
La pénurie d’obus et de composants pour leur fabrication ne risque pas de ralentir l’offensive sur Rafah. Mais elle posera un problème pour l’avenir, car le MIC israélien devra se restructurer pour produire des armes conventionnelles au détriment de l’exportation de produits de haute technologie, et il n’y a pas de fonds, de capacité ou même de main-d’œuvre pour cela actuellement. Les dépenses militaires augmenteront, quels que soient la rapidité et le degré de rétablissement de la coopération militaire avec les États-Unis, et les recettes d’exportation diminueront fortement. Il en va tout autrement pour Israël, qui vit depuis le milieu des années 1980 dans des conditions relativement favorables, ce qui lui a permis de s’essayer aux armes dites de pointe.
Le Dôme de fer est impuissant face à une houe, mais il est tout à fait réaliste d’abattre un drone avec une houe ou même avec un sac de sport, comme l’a montré l’expérience de l’opération militaire spéciale.
Evgueny Kroutikov, VZGLIAD
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