Des chiffres records: le problème migratoire de la Grande-Bretagne s’aggrave

Chaque année, le nombre de migrants au Royaume-Uni augmente, et les prévisions indiquent que ce chiffre continuera de croître. Pourquoi? Comment le Royaume-Uni gère-t-il ce problème? Qui est mécontent de cette situation? – C’est ce que répond ce reportage de TASS.

Le solde migratoire du Royaume-Uni pour 2022 a atteint un nouveau record, avec une augmentation de la population de 606 000 personnes, selon un rapport de l’Office for National Statistics (ONS). Le précédent record, établi en 2021, s’élevait à 504 000 personnes.

Au cours de l’année écoulée, le Royaume-Uni a accueilli 114 000 réfugiés ukrainiens et 52 000 résidents de Hong Kong. Londres a assoupli les règles relatives à leur séjour. Environ 3 millions de Hongkongais ont bénéficié d’un statut de résident facilité suite à la loi de 2020 sur la sécurité nationale de Hong Kong, adoptée par le Parlement chinois.

Le Royaume-Uni est confronté à un défi majeur : l’immigration clandestine via la Manche. En 2022, leur nombre a augmenté de 60 % par rapport à 2021, atteignant 45 700 personnes. Ces quatre dernières années, le nombre de migrants traversant la Manche pour rejoindre le Royaume-Uni a connu une augmentation constante, d’après les statistiques officielles. Par ailleurs, le Royaume-Uni prévoit qu’en 2023, un nombre record de 56 000 personnes traverseront la Manche.

L’un des principaux problèmes de la crise actuelle réside dans l’absence d’accord entre le Royaume-Uni et la France concernant la régulation de l’immigration clandestine à travers la Manche, et dans le manque de coordination entre leurs agences respectives, a expliqué à l’agence TASS Oleg Okoshin, chercheur principal au Centre d’études britanniques de l’Institut d’Europe de l’Académie des sciences de Russie.

Londres et Paris reviennent régulièrement sur cette question. Ce fut encore le cas en novembre 2021, lorsqu’une embarcation transportant 50 migrants clandestins tentant de rejoindre le Royaume-Uni a coulé près de Calais. Une trentaine de personnes ont péri dans le naufrage.

Suite à ce drame, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré que les autorités françaises privilégiaient un accord entre l’UE et le Royaume-Uni pour traiter le problème de l’immigration clandestine.

« Nous souhaitons un accord équilibré entre le Royaume-Uni et l’UE qui permette de résoudre tous les problèmes existants », a-t-il affirmé.

Ce document, a-t-il précisé, «ouvrirait des voies légales aux migrants souhaitant rejoindre le Royaume-Uni». Mais la question reste d’actualité.

Le Brexit est également cité comme une cause des problèmes migratoires au Royaume-Uni. Avant le Brexit, le taux d’immigration au Royaume-Uni stagnait à 250 000 personnes par an, mais il a depuis considérablement augmenté.

Après le Brexit, on a constaté un exode de main-d’œuvre qualifiée du Royaume-Uni, principalement compensé par l’immigration en provenance des pays de l’UE, explique Oleg Okoshin. Ces postes sont désormais vacants et des personnes originaires de pays en développement tentent de les occuper.

«Avant le Brexit, le problème migratoire pour la Grande-Bretagne tenait surtout au mécontentement des Britanniques face à l’afflux de migrants en provenance des pays les plus pauvres de l’UE (Pologne, pays baltes, Bulgarie et Roumanie). Après la sortie de l’UE, la situation a changé», a expliqué Igor Kovalev, premier vice-doyen à la recherche de la faculté d’économie mondiale et d’affaires internationales de la HSE, à l’agence TASS.

Selon lui, l’afflux de migrants a augmenté, mais il ne s’agit plus de citoyens de l’UE, mais de ressortissants d’Afrique du Nord, d’Irak, d’Afghanistan et du Moyen-Orient.

En octobre 2021, les analystes de Reuters estimaient que le Royaume-Uni, qui avait profité pendant 25 ans de l’importation de main-d’œuvre bon marché en provenance de pays de l’UE moins riches, devrait réduire sa dépendance aux migrants après le Brexit. Comme le soulignait l’agence, suite à la pandémie et au Brexit, le gouvernement britannique a dû faire face à une pénurie de main-d’œuvre, à des demandes de salaires plus élevés et à une inflation.

« Après avoir quitté l’UE, la Grande-Bretagne pouvait certes établir sa propre législation sur l’immigration et instaurer diverses restrictions, mais elle se heurtait à un problème : de nombreux postes restaient vacants et les Britanniques ne souhaitaient pas les occuper ; ils ne voulaient pas travailler pour de bas salaires. Il suffit de rappeler la pénurie de chauffeurs routiers pour livrer les produits alimentaires aux supermarchés britanniques. Nombre de Britanniques refusaient tout simplement d’occuper ces emplois, et les migrants les remplaçaient. Ils étaient impatients de s’y rendre, en traversant la Manche par exemple. C’était rentable pour eux ; ils avaient bien compris les gains qu’ils pouvaient y réaliser », constatait Igor Kovalev.

Dans le même temps, Londres paie un lourd tribut à l’hébergement des migrants sur son territoire. Selon Reuters, fin mars, le Royaume-Uni accordait l’asile à 109 000 personnes, dont 48 000 étaient logées à l’hôtel. Ce dispositif coûte au gouvernement 6,2 millions de livres sterling (7,7 millions de dollars) par jour.

« La situation des migrants est défavorable à la Grande-Bretagne car la plupart d’entre eux ne possèdent pas les qualifications professionnelles requises et ne peuvent contribuer à la croissance de l’économie britannique. Bien au contraire, ils vont épuiser les ressources sociales du pays et ne feront qu’aggraver les difficultés économiques que connaît le Royaume-Uni après le Brexit, la pandémie et la crise énergétique de 2022 », a déclaré Oleg Okoshin.

Un autre problème lié aux migrants au Royaume-Uni est leur intégration à la société britannique, qui s’avère très difficile, a souligné Igor Kovalev.

« Les programmes migratoires sont toujours un sujet délicat. D’une part, il est impossible de refuser catégoriquement l’immigration. D’autre part, attirer des migrants pose certains problèmes liés au mécontentement local. L’équilibre entre les avantages et les inconvénients est très complexe et ne peut être établi d’un claquement de doigts », a déclaré l’expert.

La situation migratoire s’aggrave, malgré les promesses du Parti conservateur au pouvoir de la combattre, faites sous le mandat de David Cameron (2010-2016).

L’actuel Premier ministre, Rishi Sunak, tient aujourd’hui des propos similaires. Dans une interview accordée à ITV, il a promis de faire de la lutte contre l’immigration clandestine, notamment en interdisant les demandes d’asile, l’un des principaux objectifs de son mandat.

Aujourd’hui, le gouvernement britannique tente de lutter contre l’immigration clandestine, notamment en interdisant les demandes d’asile. En avril, la Chambre des communes du Parlement britannique a approuvé en troisième lecture un projet de loi autorisant les autorités à expulser les personnes entrées illégalement sur le territoire et ayant demandé l’asile.

Cependant, l’unanimité est loin d’être acquise sur cette question au Royaume-Uni. Les membres du Parti conservateur au pouvoir ont rejeté tous les amendements proposés par l’opposition parlementaire. Cette dernière s’est inquiétée de la violation des droits des réfugiés persécutés dans leur pays d’origine.

Peu de temps auparavant, le Telegraph, citant une source au sein du gouvernement britannique, rapportait que le cabinet espérait lancer prochainement un programme visant à envoyer des migrants sans papiers au Rwanda, en attendant l’examen de leurs demandes d’asile au Royaume-Uni.

Suite à cela, Politico, citant des sources européennes, a rapporté que l’UE avait adressé des avertissements confidentiels au gouvernement britannique concernant l’inadmissibilité de contourner les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour envoyer des migrants sans papiers au Rwanda. Selon les sources de la publication, ces avertissements à Londres ont été répétés à plusieurs reprises avant et après le début de l’examen du projet de loi sur l’immigration clandestine au Parlement.

Compte tenu de la situation actuelle, il est peu probable que Rishi Sunak puisse mettre en œuvre ses projets.

« La promesse de Sunak est une déclaration grandiloquente, sans moyens administratifs suffisants. Elle restera probablement un simple slogan politique », estime Oleg Okoshin.

La situation des migrants au Royaume-Uni ne fera qu’empirer dans un avenir proche, note Igor Kovalev.

« Malgré les difficultés économiques actuelles, la Grande-Bretagne, comme d’autres pays occidentaux, restera attractive pour les migrants des pays pauvres. De plus, l’escalade des conflits à laquelle nous assistons actuellement, conséquence du remaniement des relations internationales, constituera un facteur supplémentaire d’afflux migratoire », a déclaré l’expert.

Lidia Misnik

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